Le topic des scientifiques

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Entretien avec Philippe Gerardin, professeur des universités au LERMAB.

Au départ, le besoin de filière 

La recherche fondamentale en matière de chimie du bois est un champ dont le potentiel est extraordinairement vaste. Il appartient aux chercheurs de découvrir de nouvelles molécules, d’expérimenter de nouvelles techniques d’extraction, de caractériser les propriétés des différentes essences de nos forêts ou d’autres latitudes. Mais, pour que la chimie du bois franchisse une nouvelle étape, il lui faut encore s’intégrer au sein de la plus large filière forêt-bois. En ce sens, « la balle n’est pas seulement dans le camp des chercheurs, mais il faut également associer des producteurs de la ressource et des utilisateurs finaux » dit aujourd’hui Philippe Gerardin, chercheur au LERMAB partenaire du programme ExtraFor_Est.

« Valoriser la ressource bois en chimie pose une double question » pour le chercheur Lorrain. Lorsque la matière première – telle ou telle essence d’arbre – est déjà intégrée à une filière de production il est facile de se la procurer sous diverses formes ; les déchets de production, eux-mêmes, peuvent devenir une ressource inexploitée. Mais lorsqu’il s’agit de débouchés nouveaux alors se pose la question de la chaîne logistique qui permettra d’acquérir la ressource. Il faut donc qu’existe en amont, une filière capable de fournir la matière première. De plus, à l’autre extrémité de la chaîne, il faut aussi qu’existe une utilité industrielle.

Le rôle prescripteur de la chimie du bois fondamentale

Si en amont le forestier produit la matière première et en aval la R&D et les industriels travaillent à trouver une application commercialisable, quel est le rôle de la chimie du bois fondamentale ? Dans les deux cas, être prescriptrice. Par leur travail le LERMAB et le programme ExtraFor_Est créent de l’information. Ils répondent à deux questions cruciales pour que naisse une filière nouvelle : celle de la qualité et de la quantité de molécules valorisables et extractibles présentes dans le bois.

En effet, trouver une nouvelle molécule issue de la biomasse forestière n’est que le sommet de l’iceberg en matière de recherche. La découverte réalisée, encore faut-il procéder à une myriade d’expériences pour déterminer quelle essence d’arbre est la plus riche en cette molécule et si cette information est reproductible. Et les questionnements vont bien au-delà pour déterminer l’ensemble des variables à considérer : l’âge du spécimen joue-t-il un rôle ? est-il homogène dans sa capacité à produire l’extractible recherché ? etc. Si la matière première d’origine est un connexe s’agit-il d’un déchet forestier (rémanent) ou bien d’un déchet de l’industrie ? Y-a-t’il une différence ? Si oui laquelle ? etc.

A la différence des énergies fossiles, « le bois est un organisme bien vivant et toutes ses variations peuvent influer sur nos recherches » précise encore le Pr. Gerardin.

Et pour demain : ouvrir le champ des possibles 

Jusque récemment, seule l’industrie papetière développait une réelle chimie du bois. Le rôle d’un programme comme ExtraFor_Est est d’ouvrir de nouvelles voies de recherche à la filière forêt-bois. En révélant les potentiels d’espèces sous-exploitées par les secteurs du bâtiment, de l’industrie ou de l’énergie, la chimie fondamentale peut ouvrir la voie à une demande de la part de l’industrie chimique. Les effets pour la forêt française seront bénéfiques en favorisant une diversité des plantations dont on sait qu’elle assure une meilleure résistance des forêts aux aléas climatiques et aux maladies. En exploitant les matériaux résiduels de ces industries, elle les intègre davantage dans l’économie circulaire désormais incontournable pour l’avenir de notre planète.  

Pour conclure, Philippe Gerardin résume : « Aujourd’hui l’enjeu c’est de trouver ensemble, à toutes les étapes de la production du bois, comment organiser une filière intégrée et intégrante, flexible … » car « on peut engager toutes les recherches nécessaires pour faire émerger de nouvelles molécules potentiellement riches d’usage mais s’il n’existe pas de filière en place pour récolter la matière première et traiter les déchets alors elle est inaccessible et donc inutile ».

Date de modification : 05 juin 2023 | Date de création : 29 juillet 2020 | Rédaction : Théo Brisset