Portrait Christophe Latchman

Portrait Christophe Latchman

Agriculteur bio, agronome écologue, et formateur pour adulte, Christophe est également amené à partager son expertise pour la construction de politiques pour l’agroécologie. Ses multiples casquettes font de lui un médiateur hors pair pour la recherche-intervention d’AgroEcoDiv.

La passion pour l’écologie pour motivation

Passionné par l’écologie des agroécosystèmes, Christophe a développé au fil de formations, de voyages et du temps, une expertise qu’il met au service de l’agriculture guadeloupéenne, en constante évolution.

Océane : Comment en es-tu arrivé à être agriculteur ?

Christophe : Je sais que je veux être agriculteur depuis mes 12 ans. C’est ma passion depuis toujours : l’écologie, et plus particulièrement l’écologie des agroécosystèmes. J’ai d’abord fait un BTS en agronomie tropicale. Je n’étais pas dans une vision d’agriculture bio à ce moment-là mais je savais que je voulais intégrer l’écologie dans mon agriculture. Quelques temps après, j’ai fait une formation au Center for Regenerative Studies aux Etats-Unis, en Californie : système intégré, agriculture durable, régénérative, permaculture… C’est là que j’ai découvert tous ces concepts. Pendant 1 an et demi, j’ai travaillé pour la gestion de la ferme de l’institut, et j’ai étudié avec des chercheurs qui avaient déjà une approche systémique. C’était il y a 20 ans.

Océane : Comment as-tu porté cette conception de l’agriculture en Guadeloupe ?

Christophe : A mon retour ici, l’agriculture guadeloupéenne était en pleine mutation et réorganisation : on était en train de créer l’Iguavie ; les producteurs de bananes se sont mis ensemble pour créer le LPG ; plus tard, on a eu les SICA de diversification, et l’Iguafhlor qui se sont montées… Mais la vision systémique de l’agroécologie restait très en marge de cette structuration des filières. Je me suis installé en dépit de tout, en 2005, et j’ai commencé directement en agriculture biologique. Pour moi, dépendre à 100 % de l’importation, c’est un risque. Ce sujet de l’importation et de produire avec nos ressources devient un sujet d’actualité et de cohérence aujourd’hui, mais quand j’ai commencé, c’était plutôt un sujet de moquerie : on était en marge du système. En termes de compétences, j’ai fait beaucoup d’efforts pour acquérir des connaissances agronomiques rigoureuses.

Océane : Quel est ton système agricole aujourd’hui ?

Christophe : Ça toujours été la même vision : avoir des productions en phase avec notre réalité tropicale. Mon exploitation est sur 9 hectares, dont 6 qui sont en forêt. Le reste, c’est des cultures vivrières et maraichères, des plantes médicinales, et de la banane export. Je développe aussi le verger, une canopée fruitière, parce qu’on a une forte demande en vente directe de fruits locaux (corossol, mangues, maracujas, tamarins des indes, pomme cannelle…). En élevage, j’ai pour projet de mettre en place un atelier de poules, en pâturage tournant pour optimiser les services de fertilisation de sols. Je participe aussi à un projet RITA pour la valorisation du cochon Créole et de l’élevage non intensif. Quand je me suis installé, le porc Créole ça ne parlait à personne. Aujourd’hui, beaucoup de jeunes montent leur atelier, ils se forment en boucherie, les gens sont sensibles au bien-être animal… Il y a une fenêtre qui s’ouvre, il faut y aller. Des fois, tu amènes l’innovation et les gens n’y adhèrent pas. Il vaut mieux s’appuyer sur des fenêtres comme ça pour innover.

S’intéresser aux dynamiques existantes pour co-innover : le défi de la recherche-intervention !

Après une année de médiation pour la recherche-intervention d’AgroEcoDiv, Christophe expose les enjeux à concevoir et mettre en œuvre des innovations agroécologiques avec différents acteurs et tire des apprentissages.

Océane : Puisque tu parles d’innovations, quels sont les enjeux de ton rôle de médiateur pour AgroEcoDiv ?

Christophe : C’est important de trouver une cohérence entre acteurs, chercheurs et décideurs pour fixer les grandes orientations de l’agriculture guadeloupéenne. Il faut pouvoir orienter et organiser la recherche et l’action publique pour avoir un impact sur le développement à long terme. Et donc il faut traduire les intérêts, attentes, contraintes… exprimés, d’un groupe à un autre pour se comprendre dans la polyphonie. Parce que je fréquente les secteurs de l’agriculture, de la recherche, de la formation et de l’action publique, je peux adopter les différents langages. Je fais le lien.

Océane : Tu as un exemple pour illustrer ?

Christophe : Prenons l’exemple d’un agriculteur qui a de sérieux problèmes de charançons dans ses cultures de patates douces. Il veut régler le problème sans utiliser d’engrais chimique. Il va essayer de frapper à des portes, essayer de mobiliser des ressources et de trouver des solutions, mais parfois ses recherches ne vont pas être fructueuses. Moi j’essaye de traduire son besoin et de le transmettre aux institutions, en présentant le problème de charançon à l’échelle du territoire, parce que les institutions vont plutôt chercher à régler des problèmes qui affectent le territoire dans sa globalité. A une époque, un chercheur avait travaillé sur des nématodes capables de parasiter le charançon de la patate : les nématodes étaient cultivés en stations ; des essais étaient réalisés chez des agriculteurs, parce qu’une des missions de la recherche est de travailler sur des niches d’innovation. Mais ce chercheur est parti à la retraite : aujourd’hui on aurait besoin de réactiver ces connaissances. Rajoute à cela qu’entre-temps la réglementation sur la lutte biologique s’est durcie… Tu vois le nombre de lectures qu’il faut avoir et le nombre d’acteurs qu’il faut mobiliser pour résoudre certains problèmes. Parce que le point de départ, c’est un agriculteur en agroécologie ; mais au final tout le monde est concerné ! Jusqu’aux consommateurs qui veulent manger des patates saines.

Océane : Justement, un des objectifs de la recherche-intervention, c’est de résoudre des problèmes concrets. En tant que médiateur, comment tu considères cet aspect du projet ?

Christophe : Il faut essayer de comprendre les dynamiques et réseaux agroécologiques qui fonctionnent déjà, sans la recherche. Et ensuite, il faut chercher à optimiser ces dynamiques, en dialoguant avec les structures. Il faut pouvoir offrir des expertises techniques et organisationnelles pour accroître les impacts sur le territoire de ces dynamiques. Je parle par exemple de l’AP2A, de l’APECA, de l’APAGWA, du GIE Sud Basse-Terre, de SYAPROVAG, du BTSG… Ce sont des organisations qui sont dans des démarches agroécologiques, qui fédèrent déjà, mais qui rencontrent des difficultés de plusieurs ordres. C’est à ces sujets que la recherche pourrait s’intéresser quand elle participe avec les acteurs à la construction de l’agroécologie guadeloupéenne. C’est ça la co-innovation pour moi. La limite, c’est qu’on ne peut pas aller voir tous les groupements, ni tous les agriculteurs un par un. Il faut choisir la bonne échelle et ne pas être confondu avec une organisation technique.

L’agroécologie a besoin de multiples chefs d’orchestre

Christophe estime que créer des liens entre différents acteurs permettra de soutenir les transitions agroécologiques, déjà en cours, sur l’île.

Océane : Tu évoques des associations d’agriculteurs guadeloupéennes. Mais toi aussi, tu es Président d’une association, non ?

Christophe : Alors, j’ai intégré le GDA ECOBIO comme adhérent en 2008. L’objectif du GDA est d’accompagner l’agriculture écologique et biologique. On était 13 agriculteurs à l’époque, il n’y avait pas beaucoup d’agriculteurs en bio. Aujourd’hui, on est une soixantaine. Il y a un vrai essor de l’agriculture biologique et agroécologique. Ça fait presque 12 ans que je suis président du GDA. J’espère laisser la place.

Océane : Tu vois les effets du travail d’accompagnement du GDA dans la transition ?

Christophe : Oui, aujourd’hui, le travail qu’on a fait pour l’agroécologie est en train de porter ses fruits. Il y a quelques années, je faisais des formations pour 6 personnes. Maintenant, il peut y avoir jusqu’à 60 personnes. Il y a un vrai élan, mais parfois on manque de liens. J’espère qu’on arrivera à renforcer les liens entre instituts de recherche, instituts techniques, groupements d’agriculteurs, décideurs politiques… pour développer une réelle résilience pour l’agriculture de notre territoire. En tant qu’humains, on est un peu chefs d’orchestre, mais ce n’est pas nous qui jouons la musique : c’est l’environnement, dans sa complexité, qui nous entoure. A vouloir tout simplifier, on finit par ne rien produire.

Date de modification : 05 juin 2023 | Date de création : 29 mars 2022 | Rédaction : O.Biabiany